"Les coupables, ce sont les politiques..."
Jacques Carbonnel avait 25 ans lorsqu'il a été appelé chez
les paras. Engagé à 18 ans, Gérard Kihn lui, s'est retrouvé chez Bigeard.
Marqués à vie, tous les deux sont rentrés antimilitaristes .
Nous poursuivons notre série sur la guerre d'Algérie,
cinquante ans après...
Celui qui y croyait. Celui qui n'y croyait pas. C'est un peu
ça, l'histoire de Gérard Kihn et de Jacques Carbonnel. Fils de paysan, le
premier s'est engagé à 18 ans pour échapper à sa famille et sa Lorraine natale.
Professeur, syndicaliste, 3e ligne à Cahors et... sursitaire,le second avait 25
ans lorsqu'il se retrouva aussi parachutiste, contre ses convictions. 50 ans
après, ce qui réunit désormais les deux hommes? L'aversion commune qu'ils ont
rapportée d'Algérie contre la guerre, la torture.
«L'Algérie? à 20 ans, j'avais une idée positive du
colonialisme qui apporte la civilisation», commence pourtant Jacques Carbonnel,
carrure toujours imposante à 82 ans. «Mais à 25 ans, je m'étais politisé. Il y
avait eu l'Indochine et en arrivant à Oran en 1956, une scène m'avait révolté,
un flic humiliant un Arabe pour rien...»
Puis, «dès les premières opérations j'ai été confronté à la
torture. Laverdo, Aumale, Miliana, Palestro... On n'a jamais été forcés à
participer, mais on entendait hurler les gars. Un jour, par accident, j'ai vu.
Le supplice de la baignoire, un homme qu'on remplit d'eau par les deux bouts,
la gégène, le corps qui se lâche... Mais le plus terrifiant, c'étaient ces
gosses de 20 ans qui plongeaient dans ce système. Moi, j'étais le «vieux», je
n'étais pas influençable, mais, sur un régiment, nous n'étions que 15 à refuser
cette guerre-là de la «paracification»...
«La torture, c'était plus difficile à supporter que la
mort»,confirme alors Gérard Kihn. En 1957, lui se retrouve à crapahuter avec le
3e RPC, «le régiment de Bigeard». D'accord pour être soldat, mais pas
tortionnaire.
«En 57, la torture était systématique, mais le vrai
problème, c'est que les politiques avaient donné tout pouvoir à l'armée. Elle
avait droit de vie ou de mort sur n'importe qui. Isolés, des sous-off qui
étaient rentrés fous d'Indochine, faisaient alors le sale boulot avec les
hommes de troupe», souligne-t-il.
Exécutions sommaires, viols, mutilations, mais aussi
violences contre les simples soldats... Révulsés, ils sont rentrés «hantés par
l'horreur». «Comment pouvait-on en arriver là ? La peur. Nous avons vu torturer
des innocents, des Français ne parlant que français vouloir «faire parler» des
Arabes ne parlant qu'arabe... et il n'y avait pas de limite à l'imagination
sadique des gens laissés à eux-mêmes. Mais, plus que l'armée, les vrais
coupables, oui, ce sont les politiques qui ont rendu ça possible en donnant les
pleins pouvoirs aux militaires», répètent-ils. «Pacifistes à jamais».