le cinquantenaire page 2

19 mars 1962 : l'exode le plus poignant de l'histoire de France

A Alger, le départ des rapatriés. Embarquer sur un bateau, tout quitter, partir vers une destination inconnue./Photo Sipa

PUBLIÉ LE 05/03/2012 08:55 | JEAN-CLAUDE SOULÉRY

Il y a cinquante ans commençait l'exode le plus poignant de l'histoire de France : celui des rapatriés d'Algérie, Pieds-Noirs et Harkis, contraints de quitter « leur » terre et de s'installer dans « leur » pays, la France, que la plupart ne connaissaient pas.

 

Le 19 mars 1962, les accords d'Évian, signés entre le gouvernement du général de Gaulle et les représentants du Front de libération nationale (FLN) algérien avaient instauré officiellement le cessez-le-feu, qui mettait fin à la guerre d'Algérie. Pour l'armée française qui venait de livrer une bataille de huit ans, et surtout pour les appelés du contingent dont certains étaient mal préparés à vivre des visions d'horreur, cette date du 19 mars 1962 signifiait d'abord le retour à la maison, le grand soulagement. La paix. Enfin !

 

Mais, en Algérie, les exactions et les règlements de compte allaient redoubler de cruauté. A partir du 19 mars, il y eut cinq fois plus de victimes que durant tout le conflit. Tout simplement parce que les accords d'évian avaient lâchement oublié l'essentiel : garantir la sécurité des populations civiles, qu'elles soient Européennes ou musulmanes.

 

Livrées au fanatisme du FLN qui voulait chasser les Français du sol algérien et au terrorisme de l'Organisation de l'armée secrète (OAS) qui, au nom de l'Algérie française, pratiquait la politique de la terre brûlée, parfois même cruellement réprimées par l'armée et la police françaises comme ce fut le cas le 26 mars 1962 rue d'Isly à Alger, ces populations vont vivre des mois de peur, et boucler, dans l'angoisse et l'impréparation, leurs bagages d'exilés. Rassembler ce qu'on pouvait sauver, attendre de pouvoir embarquer, sur le premier bateau, sur le premier avion, enfin débarquer dans un port inconnu, atterrir dans un pays qui ne les attendait pas vraiment… Aujourd'hui, de part et d'autre de la Méditerranée, l'Histoire ne retient pas une même vérité. Les passions, toujours présentes, la rendent impossible. Bien sûr, en cinquante ans, les rapatriés se sont rapidement installés dans la vie française. Pour les familles harkis, tenaillés par une double culture et victimes d'un racisme qui ne veut pas dire son nom, l'intégration n'a pas été digne.

 

Nous commençons ce lundi la publication d'une série consacrée aux hommes et aux femmes qui ont vécu ces moments-là. Dans un premier temps : que reste-t-il de l' «esprit pied-noir» ? Puis, la semaine prochaine, les souvenirs de ceux qui ont participé à la guerre. Toute une page d'Histoire déjà ancienne et pourtant mille fois vivante.


 

PUBLIÉ LE 05/03/2012 08:56 | RECUEILLI PAR P.C.

Les études, c'était prendre une revanche

Comment définissez-vous l'identité pied-noir ?

 

Ce n'est pas la conquête de 1830 qui fait le « Pied-Noir », mais c'est l'arrachement violent, l'exode, l'exil vers la France et le mauvais accueil reçus qui ont été constitutifs d'une « identité pied-noir ». C'est aussi le regard du métropolitain qui rend le Pied-Noir responsable de la guerre, parce qu'il avait été incapable de comprendre le mouvement de la décolonisation, en le rendant coupable de tous les maux de l'Algérie. Ce regard va alors contribuer à faire exister une communauté qui n'existait pas en Algérie, où régnait un certain type de communautarisme. Les Espagnols, les Italiens, les Arabes, les Français, les Juifs vivaient ainsi ensemble, mais les uns à côté des autres, ce qui est typiquement méditerranéen. En Méditerranée, on est tous frères, on n'est jamais beau-frère, l'origine et la religion fondant l'identité. Mais le rapatriement a soudé ces communautés et les Français d'Algérie ont alors adopté ce mot de « Pied-Noir » qui était une insulte pour le relever comme un défi, une première revanche.

 

50 ans après, que reste-t-il de l'esprit pied-noir ?

 

Une revanche sociale, justement. Chez les personnes qui ont vécu longtemps en Algérie, il est resté beaucoup de mémoire, l'accent mais aussi des attitudes, notamment de se battre pour les enfants, pour qu'ils puissent étudier, réussir, et, quelque part, les venger en prenant une revanche sociale sur cette France qui les a mal considérés en arrivant. De fait, statistiquement, les enfants de Pieds-Noirs avaient de meilleurs résultats - aux examens, ils avaient des résultats 3 % à 4 % supérieurs à la moyenne nationale. Une chose qui s'est imposée, aussi, durant des années, a été le silence, la difficulté de transmettre aux enfants ce qui s'était passé, silence qui commence à se lézarder aujourd'hui, grâce aux petits-enfants, qui eux, veulent savoir et posent des questions. Un autre point que l'on peut souligner, aussi, c'est que, contrairement à une idée répandue, il n'y avait pas de cuisine pied-noir, à proprement parler. Chaque communauté avait ses plats : les Alsaciens mangeaient de la choucroute en Algérie, les Espagnols de la paella, c'est à l'arrivée en France que le couscous est devenu un marqueur identitaire.

 

Nous étions d'abord des pionniers"

Figure emblématique des barricades d'Alger, Guy Forzy a été Délégué interministériel aux rapatriés de 1995 à 1997. Aujourd'hui, il définit cet « esprit pied-noir » qu'il voit s'effacer lentement.

PUBLIÉ LE 05/03/2012 08:55 | PIERRE CHALLIER

Nous étions d'abord des pionniers

Les Pieds-Noirs n'existaient pas lorsque Guy Forzy est né le 17 décembre 1925, au Douar Béni-Maïda. « L'Algérie comptait alors trois départements : nous étions des Français d'Algérie », rappelle-t-il. Drapeau dont il n'a jamais abaissé les couleurs : en 1960, lui aussi défendait une « certaine idée de la France » sur les barricades d'Alger. Mais ce n'était pas celle du général De Gaulle, l'homme de « la trahison » qui l'assigna à résidence dans le Gers.

 

« Il fallait l'indépendance, inéluctable à terme, mais bien comprise et avec tout le monde », estime aujourd'hui l'ancien président des agriculteurs rapatriés. « Mais à la place, ce fut « la valise ou le cercueil ». Et, rentré en métropole, « le mépris, les injures », de compatriotes qui les croyaient tous riches colons et grands propriétaires exploiteurs - « alors que 80 % des Pieds-Noirs vivaient en ville et gagnaient 20 % de moins que les salariés français ! », souligne-t-il.

 

Un rejet même, comme chacun avait eu un fils, un frère, un proche appelé à fêter ses 20 ans dans les Aurès, en Grande Kabylie ou ailleurs, contre les combattants de l'Armée de libération nationale du FLN.

 

15 000 soldats morts au combat, environ 10 000 autres tués par la maladie, les accidents, les suicides, avant que l'OAS ne devienne synonyme de terreur et que les appelés rentrent mutiques : une sale guerre dont on rendait indistinctement responsables tous les Pieds-Noirs, en 1962…

 

Depuis, « nous avons toujours été placés en position d'accusés, on devait se justifier », dit Guy Forzy. L'injustice de la caricature ajoutée à l'injustice de l'exil : la « double peine » qui, 50 ans après, blesse encore, mais forge aussi désormais une part de leur identité, « plus que le couscous, l'anisette des clichés et l'accent avec lequel nous sommes caricaturés ».

 

« Mais ce qui est resté le plus fort, c'est ce qui nous a aidés à redémarrer : c'est l'esprit pionnier fondateur de la culture pied-noir. Cette fierté que nous avions d'avoir créé quelque chose dans un pays difficile. »

 

Son Algérie, alors ? « C'était d'abord une richesse, une chaleur humaine. Espagnols, Italiens, Suisses, Maltais, Allemands, Grecs, Français… amalgamés par le service militaire, nous étions unis par ce patriotisme fervent du dernier arrivé dans la communauté française, lequel nous a fait participer en masse à la Libération de la France, avec d'énormes pertes », rappelle celui qui débarqua en Provence à 18 ans pour finir la guerre en Allemagne, avec la Légion d'honneur et couvert de citations, comme son frère. « Fier d'avoir aidé à libérer la patrie ». Patrie qui le fit « Pied-Noir » en retour, moins de 20 ans plus tard.

 

« Car c'était aussi une guerre des mots pour gagner l'opinion : en liquidant l'Algérie mieux valait liquider des « Pieds-Noirs » que des Français d'Algérie ; des « Harkis » que des Français musulmans », conclut-il.

 

Un surnom qui fait débat

Pied-Noir : un surnom péjoratif qu'ont d'abord subi les Européens d'Algérie avant de se l'approprier. Son origine ? L'historien Guy Pervillé l'a cherchée. Ni les bottines noires des soldats de Bugeaud, ni les pieds de vignerons foulant la vendange, ni l'appellation péjorative qui pointait les va-nu-pieds couverts de poussière, ni, sans doute, ces soutiers indigènes appelés « pieds-noirs » parce qu'ils pelletaient le charbon pieds nus mais plusieurs filiations dont une a sa préférence : le nom d'une bande de jeunes blancs de Casablanca, qui inspirés par les Pieds Noirs indiens des westerns, résistaient et s'opposaient à l'indépendance du Maroc au début des années 50.

Journal du lundi 05 mars 2012
Série : Que reste-il de l'esprist Pieds Noirs
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