PUBLIÉ LE 07/03/2012 08:49 | PIERRE CHALL
"Le sentiment d'une grande
injustice"
Il n'est pas rentré en 1962. Mais deux ans avant, avec sa
mère institutrice et son père professeur d'anglais. « Ma grand-mère étant
gravement malade, mon père avait pris un poste à Toulouse, où elle vivait »,
explique Maurice Calmein. Et, pour sa famille, le séjour en France ne devait
donc être que provisoire. « On repartira à Oran lorsqu'elle ira mieux, nous en
étions tous convaincus… et nous ne sommes jamais repartis. Mais ça nous a
permis d'accueillir les cousins, lorsqu'ils sont arrivés avec une valise pour
cinq », se souvient-il. 1962-2012... Entretemps, le petit Oranais blessé de 14 ans
est devenu un retraité de France Télécom à Villefranche-de-Lauragais. Mais,
lorsqu'aujourd'hui il publie « Les Français d'Algérie, 50 ans après », c'est
bien d'« une plaie toujours béante » dont parle Maurice Calmein : « La triple
injustice faite aux Pieds-Noirs », précise-t-il. « On a demandé aux Français de partir en Algérie et,
lorsqu'on a décidé d'abandonner ces Français, on les a traités de fascistes ;
De Gaulle nous a trahis, en se servant de nous pour son « coup d'état » de
1958, avant de nous lâcher en suivant, et, pour finir, on nous a mal accueillis
et caricaturés partout », détaille-t-il. Témoin, cette scène vécue en Ariège… « Un jour, on dit du
mal des Pieds-Noirs devant moi. Je signale que je suis Pied-Noir. Et là on me
répond : Vraiment ? Pourtant vous êtes sympathique… » « C'était d'autant plus dur à recevoir que, nous, nous idéalisions
cette France qui nous prenait pour boucs émissaires de tout son passé
colonialiste et que l'un des traits distinctifs des Pieds-Noirs, c'est le sens
de la parole donnée. » La repentance, alors ? Très peu pour lui. « Ceux qui sont
rentrés en 1962 n'étaient pas personnellement responsables des massacres
perpétrés par Bugeaud lors de la conquête, ni de l'idéologie coloniale, ni de
la conduite de la guerre », pointe en substance Maurice Calmein. Qui
préférerait qu'on se souvienne plutôt des « villes, ports, chemins de fer,
hôpitaux, lycées construits ». « Mais ça aussi, on nous le nie, comme si tout ce que nous
avions fait était mauvais, et, 50 ans après, nous restons une communauté très
marquée par cette souffrance. En métropole, les Pieds-Noirs ont réussi à bien
s'intégrer, certes, mais ils restent des exilés de l'intérieur : une province
française sans territoire. » Laquelle a cependant su se retrouver et rebondir,
grâce à une identité culturelle forte. « J'ai donc essayé à travers mon livre de faire un portrait
aussi précis que possible de notre communauté, dont la vitalité s'exprime
aujourd'hui à travers 800 associations dont la moitié de Français musulmans. »
Car pour Guy Calmein, « Les Français d'Algérie » - le titre de son livre -
incluent évidemment les Harkis. Petite minorité de riches En 1955, sur 400 000 actifs, selon Germaine Tillion, les
Pieds-Noirs comptaient 24 % d'ouvriers, 16 % d'artisans et commerçants, 12 %
d'employés, 23 % de fonctionnaires, 15 % de cadres et professions libérales et
9 % d'exploitants agricoles dont à peine plus de la moitié propriétaires. Sur
un million d'Européens, les colons n'étaient que 22 000, et les très riches,
une infime minorité. En France, ce sont les 27 départements du Grand Sud qui
ont accueillis 55 % des Pieds-Noirs à leur arrivée. En Midi-Pyrénées, ils
étaient ainsi répartis en 2000 : 13 716 dans le Lot-et-Garonne, 19 932 dans le
Tarn-et-Garonne, 19 327 dans le Tarn, 2 400 en Aveyron, 62 648 en Haute-Garonne,
8 032 en Ariège, 10 238 dans les Hautes-Pyrénées, 9 569 dans le Gers. Dans
l'Aude, ils se comptaient 15 654. |
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PUBLIÉ LE 07/03/2012 08:50 | RECUEILLI PAR DOMINIQUE DELPIROUX Par Pierre Bénichou, journaliste au Nouvel Observateur, chroniqueur sur Europe 1 et sur France 2.
Alger, c'est la plus belle ville de France !
Je suis né à Oran en 1938, mon père avait créé une école
pour accueillir les enfants juifs, après les lois antisémites de Vichy. Albert Camus est venu y enseigner le français au début. Mes
souvenirs ? Je n'ai pas tellement la nostalgie des paysages, mais plutôt celle
des odeurs… Les odeurs d'épices, les odeurs de terre mouillée, qui sont
typiques de l'Algérie et que je n'ai retrouvées nulle part ailleurs autour de
la Méditerranée… Pourtant, lorsque j'étais enfant, je n'avais qu'une envie,
c'était de venir en France ! En regardant vivre les gens autour de moi, j'avais bien le
sentiment d'une injustice, mais je ne me doutais pas que cela finirait
tragiquement. On vivait l'injustice - c'est affreux à dire -, mais on s'y
habituait. En 1955, je suis venu à Paris pour faire des études. À cette époque,
je fréquentais beaucoup d'étudiants et d'intellectuels algériens et j'étais
carrément partisan de l'indépendance. J'étais issu d'une famille de gauche et,
avec le recul, je pensais que c'était trahir son idéal que d'être contre
l'indépendance. Les gens du FLN ont pourtant commencé à me décevoir quand ils
ont affirmé leur nationalisme. Vous connaissez la phrase de Camus - « Entre la justice et
ma mère, je choisis ma mère » -, elle a été très mal interprétée, mais je me
demandais, moi aussi, si j'accepterais que les victimes de la révolution
algérienne soient des miens. Puis il y a eu la mascarade de De Gaulle, ce « Je
vous ai compris » qui reste le pire exemple du cynisme en politique. Alors il
s'est produit, tout naturellement, cette chose extravagante : de sympathisant
du FLN, je suis devenu un sympathisant des Français d'Algérie, même dans leurs
pires excès. Ce déchirement réel m'a marqué pour la vie. Et pourtant, pour moi,
il est impossible à quelqu'un de sensé et de sensible de ne pas avoir été à la
fois pour les révolutionnaires algériens et - moins de quatre ans plus tard ! -
pour les Pieds-Noirs déboussolés, méprisés, aux abois. On sait bien que le
mythe du « Français d'Algérie millionnaire » a fait plus de mal à ce peuple que
toutes les réalités historiques. Ce million de petits employés, de commerçants,
d'artisans qu'on voulait « rapatrier » dans un pays qu'ils ignoraient, a
pourtant réussi à s'intégrer en France. Eh bien ! c'est purement et simplement
un miracle, dû à la capacité de travail, à l'ingéniosité, à l'humeur pied-noir. L'indépendance était inévitable ? Bien sûr. Le colonialiste
était mort ? Bien sûr. J'affirme que cette indépendance s'est faite dans les
pires conditions de temps et de violences. Aujourd'hui, l'Algérie me manque. Je vis avec cette Algérie,
les odeurs, le soleil du petit matin, mais aussi et surtout ce mélange de vie
au ralenti et de violence des sentiments. Alger, je ne l'ai connue qu'en 1981 -
j'ai accompagné Mitterrand pour son premier voyage à l'« étranger »… Alger,
c'est la plus belle ville de France ! C'est Rio, Alger ! Si vous voulez
continuer à refuser l'expression « les bienfaits de la colonisation », surtout
n'allez pas à Alger ! Les horreurs de la colonisation, c'était impardonnable,
mais mon grand-père était un juif berbère qui parlait mal le français et mon
oncle Paul Bénichou, était normalien à 16 ans. |
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