le cinquantenaire page 5

Journal du jeudi 08 mars 2012

L'amour et la mémoire de la vigne

PUBLIÉ LE 08/03/2012 08:14 | PIERRE CHALLIER

 

Anne-Marie Maymil poursuit la tradition familiale de la vigne avec sa fille, désormais./Photo DDM P.C.


 

L'amour et la mémoire de la vigne

 

Nous publions cette semaine une série "Que reste-t-il de l'esprit pied-noir ?". Née à Oran en 1952, Anne-Marie Maymil a retrouvé la tradition familiale de la vigne dans l'Aude. Un héritage culturel dont elle est fière et qu'elle transmet désormais.

 

La bouteille porte une étiquette prometteuse: «Le Rabelais», vin délimité de qualité supérieure du Haut Dahra. Mais elle est désormais une pièce de musée. Souvenir d'enfance pour Anne-Marie Maymil, née Landrodie à Oran en 1952 et qui veille désormais sur le Château Maylandie dans les Corbières.

 

«Mes grands-parents maternels avaient des vignes à Lamoricière, dans la région de Tlemcen que mes oncles exploitaient, et j'avais de nombreux cousins qui avaient aussi des vignes entre Lamoricière et Descartes. Cela a donc été un bonheur pour moi lorsque j'ai eu l'occasion de retrouver cette tradition familiale dans les années 70 », explique-t-elle.

 

Car en Oranie, la fierté c'était notamment de produire ce vin puissant de soleil qui partait à pleins pinardiers remonter des crus plus «faiblards» en France. Vignes de la branche maternelle qu'il a donc fallu laisser, en 1962.

 

«Mon père était journaliste à l'Echo d'Oran. Le 9 mars, il a pris une balle dans la tête et a été hospitalisé trois mois à Paris, avant de revenir reprendre son activité professionnelle en juin, pensant que l'Algérie resterait française», résume Anne-Marie Maymil. «Mais finalement, j'ai atterri en Normandie et mes frères chez des cousins, à Nice».

 

50 ans après ? Elle se souvient que «quand on est arrivés, les gens, ça ne les concernait pas beaucoup et l'appellation «Pied- Noir» était clairement péjorative. Nous avions peut-être fait des erreurs, mais le gouvernement et les Français ignoraient tout de l'Algérie, de ses réalités», estime-t-elle.

 

Rentrés avant l'indépendance, ses cousins avaient déjà repris un vignoble près de Béziers. «Ce qui m'a choqué en métropole, c'est qu'on se recevait très peu alors que nous, en Algérie, nous étions tout le temps chez les uns, les autres». D'ailleurs, «aujourd'hui, ce qui reste de l'esprit pied-noir, à mon sens, c'est cette convivialité, un mode vie ouvert sur autrui et le courage d'entreprendre, de se remettre en question». Ce qu'elle a fait en changeant complètement de carrière en quittant son poste d'attachée de direction chez Bouygues pour retrouver une partie de ses racines, à travers la vigne.

 

«Mon mari était ingénieur des travaux publics à Paris. Industriel à Narbonne, son père s'était constitué un peu de vigne pour sa retraite. On a tout laissé pour s'installer vignerons en 1975. Aujourd'hui ?

 

25 hectares à Ferrals les Corbières produisant des vins AOC blancs, rosés et rouges, deux gîtes de France estampillés 4 épis au Château Maylandie. «Oui, ce qui reste, c'est l'esprit de famille, puisque nous travaillons aussi avec notre fille, qui a repris le domaine. Et la volonté de construire du solide, qui dure, sans doute parce que nous avons été déracinés aussi.» conclut Anne-Marie Maymil.

 

Des liens antiques

La culture de la vigne remonte à l'antiquité en Algérie. Mais son essor au XIXe siècle provient de l'arrivé des viticulteurs de l'Aude, de l'Hérault et du Gard, qui, à partir de 1880 plantèrent 125 000 hectares sur les coteaux du littoral et dans les plaines du Tell. Ces vignes qui produisaient en quantité, produisaient aussi, pour certaines, en qualité : au Concours général agricole de 1930, des jurés avouèrent leur incapacité à faire la différence entre certains vins algériens et des crus de bordeaux

 

Dans les années cinquante, la vigne représentera une superficie de 380 000 hectares environ pour 16 millions d'hectolitres produits. La production partait pour l'essentiel vers la France. L'indépendance bouleversa cette économie vinicole.


Mon père a été envoyé en France pour avoir la vie sauve

PUBLIÉ LE 08/03/2012 08:14 | PAR MAGYD CHERFI, ÉCRIVAIN, CHANTEUR DU GROUPE TOULOU


Mon père a été envoyé en France pour avoir la vie sauve

 

1962, c'est l'année où je suis né, à l'hôpital Lagrave de Toulouse, le 4 novembre. C'était neuf mois après l'indépendance de l'Algérie. Cette année-là est un repère capital pour mes parents, qui les a identifiés en tant qu'Algériens et leur a donné une reconnaissance culturelle, un peu comme si la France réintégrait une certaine islamité.

 

1962, c'est comme si rien n'existait avant, et après, pas grand chose...

 

Pour eux l'Algérie, c'est le village d'Affroun, les chemins de chèvres où ils s'étaient rencontrés, dans la petite Kabylie, sur les hauteurs de Bougie, Bejaïa. Mais,quand survient l'indépendance, ils en sont tellement loin! Jeunes mariés, ils ont été envoyés en France... pour avoir la vie sauve.

 

Mon père avait en effet quatre frères, et au moins autant de sœurs. Lui était l'avant-dernier des garçons. Tous ses frères avaient pris les armes, contre l'avis de leur père. Ils devaient trouver plus exaltant de se battre que de taper la misère. Mais ils ont tous été tués, le plus jeune avait 16 ans, le plus vieux 25. Il n'en restait qu'un, qui n'était pas encore mon papa: Hachemi, 19 ans. Alors son père lui a dit : «Toi mon fils, tu pars d'ici, pour qu'il m'en reste au moins un».

 

La mort de tous ses frères, l'exil, il a caché ces traumatismes toute sa vie. Il souriait tout le temps, mais c'était le masque d'une douleur que j'ai saisie longtemps plus tard. Quand j'ai eu besoin de comprendre d'où je venais, je l'ai questionné sur son enfance, et les larmes lui sont tombées des yeux...

 

Il était pourtant courageux, et d'une extrême sévérité. Nos parents nous ont entourés de beaucoup d'amour et d'une grande intransigeance morale. Quand le succès de Zebda est arrivé, ils ont trouvé ça naturel: c'était normal qu'on nous aime puisque nous étions des enfants bien élevés.

 

«Mes enfants, c'est de l'or», dit encore ma mère. Mais je sais qu'elle aurait préféré que je sois meilleur en math qu'en français, «pour devenir ingénieur en Algérie, dans les puits de pétrole». J'étais plutôt littéraire.

 

A 18 ans, j'avais la possibilité d'opter pour l'une ou l'autre des nationalités. Je n'ai rien fait, et ce n'est que des années plus tard que j'ai demandé ma réintégration. A l'aéroport, le passeport français, c'est le bon. 

 


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Série : Que reste-il de l'esprist Pieds Noirs
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