Anne-Marie Maymil poursuit la tradition familiale de la
vigne avec sa fille, désormais./Photo DDM P.C.
L'amour et la mémoire de la vigne
Nous publions cette semaine une série "Que reste-t-il
de l'esprit pied-noir ?". Née à Oran en 1952, Anne-Marie Maymil a retrouvé
la tradition familiale de la vigne dans l'Aude. Un héritage culturel dont elle
est fière et qu'elle transmet désormais.
La bouteille porte une étiquette prometteuse: «Le Rabelais»,
vin délimité de qualité supérieure du Haut Dahra. Mais elle est désormais une
pièce de musée. Souvenir d'enfance pour Anne-Marie Maymil, née Landrodie à Oran
en 1952 et qui veille désormais sur le Château Maylandie dans les Corbières.
«Mes grands-parents maternels avaient des vignes à Lamoricière,
dans la région de Tlemcen que mes oncles exploitaient, et j'avais de nombreux
cousins qui avaient aussi des vignes entre Lamoricière et Descartes. Cela a
donc été un bonheur pour moi lorsque j'ai eu l'occasion de retrouver cette
tradition familiale dans les années 70 », explique-t-elle.
Car en Oranie, la fierté c'était notamment de produire ce
vin puissant de soleil qui partait à pleins pinardiers remonter des crus plus
«faiblards» en France. Vignes de la branche maternelle qu'il a donc fallu
laisser, en 1962.
«Mon père était journaliste à l'Echo d'Oran. Le 9 mars, il a
pris une balle dans la tête et a été hospitalisé trois mois à Paris, avant de
revenir reprendre son activité professionnelle en juin, pensant que l'Algérie
resterait française», résume Anne-Marie Maymil. «Mais finalement, j'ai atterri
en Normandie et mes frères chez des cousins, à Nice».
50 ans après ? Elle se souvient que «quand on est arrivés,
les gens, ça ne les concernait pas beaucoup et l'appellation «Pied- Noir» était
clairement péjorative. Nous avions peut-être fait des erreurs, mais le
gouvernement et les Français ignoraient tout de l'Algérie, de ses réalités»,
estime-t-elle.
Rentrés avant l'indépendance, ses cousins avaient déjà
repris un vignoble près de Béziers. «Ce qui m'a choqué en métropole, c'est
qu'on se recevait très peu alors que nous, en Algérie, nous étions tout le
temps chez les uns, les autres». D'ailleurs, «aujourd'hui, ce qui reste de
l'esprit pied-noir, à mon sens, c'est cette convivialité, un mode vie ouvert sur
autrui et le courage d'entreprendre, de se remettre en question». Ce qu'elle a
fait en changeant complètement de carrière en quittant son poste d'attachée de
direction chez Bouygues pour retrouver une partie de ses racines, à travers la
vigne.
«Mon mari était ingénieur des travaux publics à Paris.
Industriel à Narbonne, son père s'était constitué un peu de vigne pour sa
retraite. On a tout laissé pour s'installer vignerons en 1975. Aujourd'hui ?
25 hectares à Ferrals les Corbières produisant des vins AOC
blancs, rosés et rouges, deux gîtes de France estampillés 4 épis au Château
Maylandie. «Oui, ce qui reste, c'est l'esprit de famille, puisque nous
travaillons aussi avec notre fille, qui a repris le domaine. Et la volonté de
construire du solide, qui dure, sans doute parce que nous avons été déracinés
aussi.» conclut Anne-Marie Maymil.
Des liens antiques
La culture de la vigne remonte à l'antiquité en Algérie.
Mais son essor au XIXe siècle provient de l'arrivé des viticulteurs de l'Aude,
de l'Hérault et du Gard, qui, à partir de 1880 plantèrent 125 000 hectares sur
les coteaux du littoral et dans les plaines du Tell. Ces vignes qui
produisaient en quantité, produisaient aussi, pour certaines, en qualité : au
Concours général agricole de 1930, des jurés avouèrent leur incapacité à faire
la différence entre certains vins algériens et des crus de bordeaux
Dans les années cinquante, la vigne représentera une
superficie de 380 000 hectares environ pour 16 millions d'hectolitres produits.
La production partait pour l'essentiel vers la France. L'indépendance
bouleversa cette économie vinicole.