le cinquantenaire page 6

Journal du vendredi 09 mars 2012

Espagne, Algérie… ils ont vécu deux exils

PUBLIÉ LE 09/03/2012 08:55 | PIERRE CHALLIER

Hélène et José Falco./Photo DDM. P.C.


Espagne, Algérie… ils ont vécu deux exils

 


 

À l'occasion du 50e anniversaire des accords de cessez-le-feu en Algérie, nous publions cette semaine une série : « Que reste-t-il de l'esprit pied-noir ? » Hélène et José Falco se sont mariés il y a 60 ans en Oranie. Elle était pied-noir, il était pilote de chasse républicain espagnol. L'Algérie ? « On n'en parle pas avec les enfants… »

 

Sur la table du salon, Hélène étale quelques photos. La maison de ses parents. Un portrait de son mari José, casque colonial sur la tête lors des battages du côté de Boukanéfis. La neige, inattendue sur Oran.

 

Hélène ? Elle est née le 24 novembre 1924 à Sidi Bel Abès. D'origine espagnole, sa famille, des fermiers, y était installée depuis trois générations. Et elle a épousé José Falco en 1952 à Detrie, « un petit village à côté ». Il était veuf avec deux enfants ; ensemble, ils en ont eu trois.

 

Dans une autre vie… José avait été pilote, un as de la chasse républicaine durant la guerre d'Espagne, crédité de huit victoires sur son Polikarpov I15. Avant la retirada. Les camps. La faim.

 

« J'avais deux oncles en Algérie. J'ai pu les rejoindre. Je connaissais très bien la mécanique, j'ai commencé en réparant les vélos des Arabes au village, puis la voiture d'un propriétaire qui m'a embauché et petit à petit, avec son aide, j'ai pu m'installer. En 1953, j'ai été naturalisé Français » résume-t-il.

 

« Moi, j'ai grandi à la ferme, jusqu'à l'âge de 5 ans, je ne parlais qu'arabe avec mes copines ou espagnol avec mes parents, c'est à l'école que j'ai appris le français » se souvient Hélène. Leur quotidien ? Le travail. à l'atelier, dans les champs et puis pour construire la maison Castor, à Oran, lorsque finalement José fut embauché par la Marine nationale… Le travail, oui, avec de temps en temps le plaisir d'un pique-nique sur la plage, d'une invitation à partager un repas de mariage dans les villages, un couscous, un méchoui.

 

Car les échanges entre communautés passaient beaucoup par la table : « Il ne faut jamais rendre une assiette vide disait le dicton », se souvient Hélène. Et comme chacun « cuisinait selon ses origines », la paella était l'autre plat national d'Oranie. « Mais ma mère préparait merveilleusement le couscous, elle le roulait elle-même à la main et parlait arabe couramment », souligne Hélène.

 

Le couscous… finalement la seule chose qu'elle a transmise et que lui réclament ses petites filles.

 

Car pour le reste « on n'en parle plus jamais, seul notre dernier fils, né à Toulouse, pose des questions. » Le silence plutôt que la souffrance ? « Oui. 50 ans après, ça fait encore trop mal d'y repenser, j'ai laissé toute mon enfance, tout mon passé là-bas, je préfère garder dans mon cœur l'Algérie des bons souvenirs », explique Hélène. Préférant oublier qu'il lui a fallu fuir les atrocités commises à Oran le 5 juillet 1962, « une couverture sur les épaules, dans les cales du porte-avions La Fayette avec les enfants ».

 

10 000 Républicains

Près de 10 000 Républicains espagnols débarquent en Afrique du Nord à partir de mars 1939. Arrivant par bateau et plus rarement en avion, ils rejoignent le Maroc, la Tunisie et, surtout, l'Algérie où on en recensera environ 7 000 dans les départements d'Alger, Constantine et surtout d'Oran, déjà habité par de très nombreux Espagnols. Certains doivent cependant attendre plusieurs semaines à bord des navires avant de fouler le sol algérien, ou restent des jours sur les quais d'Oran dans des conditions extrêmement précaires. Classés « rouges », des milliers seront internés sous contrôle militaire dans des camps puis soumis au travail forcé, exploités pour la construction du Transsaharien. En 1962, 2 000 vivront un second exil en arrivant en France.

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Série : Que reste-il de l'esprist Pieds Noirs
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