Jacqueline et Jean-Paul Victory, issus du creuset des lycées
d'Oran./Photo DDM P.C.
Souvenirs de potaches pour se tenir chaud
Avec l'exil, le besoin de se retrouver a engendré de
nombreuses associations. Témoins, entre autres, les anciens potaches du lycée
Lamoricière, d'Oran.
l'essentiel
Il faut imaginer un soir d'été. La promenade en quête de
fraîcheur, le trottoir des garçons observant à la dérobée la terre promise : le
trottoir des filles… « En Algérie, en dehors du sport, il y avait peu de vie
associative car on vivait dehors, on fréquentait ses voisins, ses amis, le café
du quartier. Puis il y a eu l'exode. Et ce déracinement a créé chez nous le
besoin de nous retrouver, de retrouver entre nous la sympathie, l'empathie dont
nous avions été privés en arrivant en métropole, mais aussi de retrouver des
membres de la famille qu'on avait perdus dans la débâcle, certains étant
toujours à la recherche d'un frère, d'une sœur, 50 ans après », raconte
Jean-Paul Victory, 72 ans. Qui explique ainsi les centaines d'associations
qu'ont créées les Pieds-Noirs.
Mais… « Les générations disparaissant, notre association en
regroupe désormais deux, celle des anciens des lycées Lamoricière et Stéphane
Gsell qui représentèrent le creuset identitaire de plusieurs générations
d'élèves en Oranie, comme on y venait interne de la 6e à la terminale »,
précise aussi Jean-Paul Victory. Avec un « y », puisque ses racines espagnoles
furent greffées d'un rameau britannique, via Gibraltar, du temps où Sa
Gracieuse Majesté achetait son fourrage en Algérie…
Professeur retraité du collège Bellevue à Toulouse, avec son
épouse, Jacqueline, institutrice, ils sont évidemment abonnés à « l'Écho
d'Oranie » et à « l'Algérianiste ». Et sont restés fiers des célébrités de
leurs lycées d'Oran, « Gaston Julia, président de l'Académie des Sciences,
Jean-Pierre Elkabbach, Yves Saint-Laurent ou Nicole Garcia », énumèrent-ils.
Mais comme beaucoup d'autres, s'ils se retrouvent encore 300
ou 400 anciens élèves, c'est surtout parce que demeure ce « besoin d'être
compris » que seuls leurs compatriotes nés en Algérie peuvent leur apporter.
« Évidemment qu'on a fait des erreurs, mais comment admettre
qu'on nous rende seuls responsables de ce qui nous est arrivé et que la France
s'exonère de toute responsabilité ? Sous la IIIe et la IVe République, toute la
société française avait été éduquée avec des préjugés racistes et De Gaulle le
premier, avec sa culture maurrassienne. Vu la démographie, il ne voulait pas
qu'on « algérianise » la France au motif de « franciser » l'Algérie en donnant
la nationalité française à tout le monde », retient Jean-Paul.
Qui ne s'est jamais considéré « rapatrié » : « Ce mot qui
n'a pas de sens : la majorité d'entre nous n'avait jamais vu la France en 1962
», précise-t-il, se définissant comme « replié ».
« On nous avait tellement répété qu'on était chez nous qu'on
avait fini par le croire », poursuit-il, Jacqueline se souvenant être allé «
acclamer De Gaulle à Mostaganem ». Mais de cela ne demeure qu'« un immense
sentiment de gâchis ».
Une France idéalisée
Des parents petits agriculteurs, qui « vivotaient d'une
année sur l'autre », huit enfants dans la famille, cinq morts de maladie, «
notamment de la diphtérie » : pour Jean-Paul Victory comme pour une majorité de
Pieds-Noirs, vue d'Algérie, « la France, c'était le paradis, il y avait de
l'eau, tout y était propre et vert, et quand on chantait la Marseillaise on
avait la chair de poule. Mais en y arrivant, on y a découvert des gens qui
refusaient de louer aux Pieds-Noirs ou qui leur vendaient à des prix
prohibitifs des fermes sans eau », rappelle-t-il, à jamais blessé par l'accueil
reçu. « Certes, aujourd'hui 80 à 90 % d'entre nous reconnaîtront qu'on vit
mieux ici qu'on ne vivait là-bas, côté confort matériel, mais le mode de vie et
le soleil, les valeurs familiales qui faisaient de nous un peuple heureux nous
manqueront à jamais. »