interview : Guy Perville, historien, ancien professeur au Mirail, auteur de "Pour une histoire de la guerre d'Algérie"
"Pas de mémoire juste sans vraie histoire"
Vous avez parlé de «cure d'amnésie» en France, concernant la
guerre d'Algérie.Qu'en est-il, 50ans après?
Oui, il y a eu une cure d'amnésie en France, qui à partir de
1962 s'est concrétisée dans un ensemble de lois et de décrets d'amnistie,
concernant la guerre d'Algérie et la guerre civile franco-française qui avait
opposé les partisans de l'Algérie française à la majorité des Français. Cette
«amnésie-amnistie» a duré jusqu'au procès de Maurice Papon, en 1997 à Bordeaux,
car ce procès a provoqué l'interférence entre la mémoire de la deuxième guerre
mondiale et celle de la guerre d'Algérie: Maurice Papon, cet homme qui avait
participé à la déportation des Juifs de France, était aussi responsable, en
tant que préfet de police de Paris, de la répression sanglante du 17 octobre
1961 contre les Algériens lors de la manifestation organisée à Paris par le
FLN. Lionel Jospin et Jacques Chirac étaient d'accord pour dire qu'il était
anormal d'avoir deux politiques mémorielles, une posture morale pour la
deuxième guerre mondiale, mais le silence concernant l'Algérie. Le problème,
aujourd'hui, c'est que personne n'est d'accord sur ce qu'il faut commémorer…
De fait, les Archives de France viennent de censurer
l'article qu'elles vous avaient commandé sur la fin de la guerre d'Algérie dans
le cadre des «Commémorations 2012».Vous y évoquiez les exactions ayant suivi le
19 mars. Votre réaction?
Le 19 mars 1962 ne peut pas marquer la fin de la guerre, car
à la différence du 11 novembre 1918, date de l'armistice et du 8 mai 1945,
capitulation de l'Allemagne, il ne marque pas la fin des hostilités.Tenue à
l'écart de la table de négociation lors des accords d'Évian, l'OAS a refusé la
paix, mais aussi le FLN dont le Gouvernement provisoire de la république
algérienne (GPRA) avait pourtant signé les accords d'Évian, puisqu'il s'en est
pris aux civils Français d'Algérie. Pour finir le Conseil national de la
révolution algérienne (CNRA) a désavoué les accords en votant le programme de
Tripoli préparé par Ben Bella. Mon article a été censuré, car, selon moi, Paris
et Alger, devant faire face à des élections cette année, élection
présidentielle en France, élections législatives, en mai, en Algérie, les deux
capitales veulent éviter toute manifestation extrémiste, en France notamment,
autour de ce cinquantenaire. Or mon texte, factuel, n'a rien d'extrémiste.Mais
la censure oublie toujours qu'il n'y a pas de mémoire juste sans une vraie
histoire.
Les accords d'Évian étaient donc une "utopie"
dites-vous?
Oui, car ils étaient pratiquement mort-nés et ont fait
l'objet d'un double sabotage de la part de l'OAS, qui ne reconnaissait pas la
légitimité de De Gaulle, et de la fraction du FLN qui voulait le pouvoir. Du
point de vue historique, l'OAS était un fait, ne pas en tenir compte ne pouvait
pas déboucher sur une paix harmonieuse, puisque cela ne pouvait qu'aggraver la
spirale de la violence avec le FLN. De plus, aujourd'hui encore, certains
veulent toujours masquer la gestion chaotique que la France et l'Algérie ont
eue de la fin de la guerre et de l'indépendance.